22.5.06

Carnet

Le carnet a une odeur de moisi. Isabelle se souvient de cette odeur dans son petit studio quand elle a quitté ses parents pour vivre seule pour la première fois ; elle a mis du temps à accepter qu’elle émanait de ses vêtements. Ici, c’est comme un fantôme. Elle regarde autour d’elle et soudain le décor qu’elle a choisi pour l’appartement lui semble vide, aseptisé. Sa mère n’aurait pas compris pourquoi elle n’a rien voulu des anciens meubles. Tout ce qu’elle a ramené, à part les documents administratifs, c’est ce carnet, trouvé en bas d’une armoire. Notes concises, mots quotidiens, dates irrégulières. Souvent juste le temps qu’il a fait. Parfois : Visite d’Isabelle. Puis à la date où est mort son père : Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d’avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l’averse. Elle voit bien la cour, la pluie, mais elle sait qu’il était déjà à l’hôpital. Pour la énième fois, elle relit la phrase, scrute l’écriture fragile, scolaire, de sa mère. Puis elle éteint la lampe et sort sur le balcon. En bas, les toits des voitures reflètent la lumière des lampadaires. Dans l’immeuble en face, une seule fenêtre reste vraiment éclairée, mais elle n’y voit personne. Trois autres fenêtres montrent la lueur bleutée d’un écran. Par les scintillements, elle sait que dans deux des appartements on regarde la même émission.

Derek Munn