Un sentiment d'oubli
Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d'avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l'averse. Etait-ce le trousseau de ses clés de voiture (mais il n'avait pas de voiture)? Etait-ce sa valise en simili cuir (mais il n'était pas parti en voyage)? Etait-ce une revue people (mais il ne parcourait que des journaux gratuits)? Etait-ce un exemplaire défraîchi du Da Vinci Code (mais il ne lisait que des ouvrages financiers)? Etait-ce quelque chose d'autre? Quelque chose d'immatériel qu'il ne parvenait pas à définir, qu'il ne parviendrait sans doute jamais à définir, car il n'était pas sûr de vouloir que ce quelque chose existât réellement, pour ne pas perturber davantage un sommeil déjà trop fragile. De même, le bruit lancinant de la pluie sur les carreaux de la fenêtre (mais peut-être était-ce une fuite d'eau qui éclaboussait les carreaux de la cuisine, de la salle de bains, des toilettes?) lui faisait penser à un ruissellement de perles (ou de dents) sur une matière dure et sonore. Une peau tendue à l'extrême, un bloc de marbre, un os raclé par le sel. A dire vrai, si tout cela n'était qu'un rêve (ou le résidu d'un rêve plus ancien), il aurait aimé que ce rêve racontât une autre histoire, plus charnelle et légère, et à quelqu'un d'autre que lui. Il aurait apprécié qu'il n'y eût pas ce martèlement de pluie dans sa tête, qui ricochait sur les parois du crâne comme de minuscules cailloux se cognant entre eux. Certes, il aurait pu se lever, allumer la lumière, s'approcher de la fenêtre pour jeter un coup d'oeil sur la cour déserte, ou carrément plonger dans le vide en criant un nom (le sien, de préférence, car c'était celui qu'il connaissait le mieux!), pour en finir avec tous ces visages grimaçants qui hantaient la nuit et n'existaient déjà plus que sous forme de masques dans sa mémoire. Encore aurait-il fallu qu'il ait un corps doté de nerfs, de muscles, d'yeux et de bras. Encore aurait-il fallu qu'il puisse formuler un embryon de pensée. Encore aurait-il fallu que le monde existât en-dehors des souvenirs qu'il en avait. Encore aurait-il fallu qu'il ne soit pas lui-même ce sentiment d'avoir oublié quelque chose...
François Teyssandier
François Teyssandier
1 Comments:
Excellent
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