22.5.06

IL FUT REVEILLE PAR LE MARTELEMENT...
Voici les textes de la quatrième semaine du labo en ligne. Et ça continue encore ! Jusqu'où iront-ils ? Pour le savoir et décourvir la cinquième proposition d'écriture, CLIQUEZ ICI

La mer qu'on voit danser

Crotte, il avait oublié quoi encore. Sa trottinette dormait avec lui dans le lit et son ballon de football regardait la lune par la fenêtre. Sa mère avait bien vérifié, il avait tous ses vêtements quand il était remonté de la cour où il avait joué avec ses copains tout l’après-midi. Alors quoi, je sais pas, répondit-il au silence dans la nuit, mais il pleut, je redescendrai pas. Tu devrais, lui rétorqua le ballon de football, parce que t’as vraiment oublié quelque chose en bas. Quoi ? demanda-t-il en se boulant sous les couvertures, je te le dirai pas, rétorqua le ballon, c’est à toi d’aller voir. Il essaya de se rendormir mais il n’y arriva pas. Il sentait qu’il avait oublié quelque chose mais quoi, et la curiosité s’était mise à le titiller. Il sortit du lit, prit ses bottes de caoutchouc, enfila son ciré sur son pyjama et sortit de la chambre, ses bottes à la main. Dans leur chambre, les parents ronflaient, et le bébé, à côté d’eux dans son berceau, poussa un gémissement de chiot. Il descendit les escaliers de l’immeuble, et arrivé en bas, il enfila ses bottes. Il poussa la porte qui donnait sur la cour, reçut du vent mouillé… et un spectacle inouï s’étala sous ses yeux. La mer de ses vacances dansait devant ses yeux, sous la pluie. Les vagues faisaient des montagnes comme ses jambes sous les draps quand il s’amusait, monter, descendre, monter, descendre. Il y avait un petit bateau de pécheur qui roulait sur les vagues et dedans, il y avait un vieux monsieur avec un ciré jaune comme lui. C’était son grand-père, qui était mort le mois dernier dans le lit qu’il habitait à l’hôpital. Te voilà enfin garçon, lui dit-il, et il lui tendit la main, viens, monte avec moi. Et il monta dans la barque avec son grand-père.

Marie Chotek

De chute en chute

Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d'avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l'averse. C’était un objet encore invisible à sa mémoire, mais dont le son etouffé par l’éloignement montait derrière la pluie. Son oreille se tendit vers ce son fragile qui bégayait et tout à coup il reconnut. Les débris plaintifs, syncopés. Entre miaulements et grincements, des fragments de notes, qui venaient d’un violon. Il y avait le raclement des cordes avant la note – frrr- puis les sons, suspendus, arrachés, hors de toute tonalité. Du Schonberg en miettes, joué par un handicapé. Il se dressa net sur son séant, les yeux tout grand ouverts dans le noir, sur la flaque sombre de son portefeuille criblé par la pluie entre les détritus.

Edith Vanel

Un sentiment d'oubli

Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d'avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l'averse. Etait-ce le trousseau de ses clés de voiture (mais il n'avait pas de voiture)? Etait-ce sa valise en simili cuir (mais il n'était pas parti en voyage)? Etait-ce une revue people (mais il ne parcourait que des journaux gratuits)? Etait-ce un exemplaire défraîchi du Da Vinci Code (mais il ne lisait que des ouvrages financiers)? Etait-ce quelque chose d'autre? Quelque chose d'immatériel qu'il ne parvenait pas à définir, qu'il ne parviendrait sans doute jamais à définir, car il n'était pas sûr de vouloir que ce quelque chose existât réellement, pour ne pas perturber davantage un sommeil déjà trop fragile. De même, le bruit lancinant de la pluie sur les carreaux de la fenêtre (mais peut-être était-ce une fuite d'eau qui éclaboussait les carreaux de la cuisine, de la salle de bains, des toilettes?) lui faisait penser à un ruissellement de perles (ou de dents) sur une matière dure et sonore. Une peau tendue à l'extrême, un bloc de marbre, un os raclé par le sel. A dire vrai, si tout cela n'était qu'un rêve (ou le résidu d'un rêve plus ancien), il aurait aimé que ce rêve racontât une autre histoire, plus charnelle et légère, et à quelqu'un d'autre que lui. Il aurait apprécié qu'il n'y eût pas ce martèlement de pluie dans sa tête, qui ricochait sur les parois du crâne comme de minuscules cailloux se cognant entre eux. Certes, il aurait pu se lever, allumer la lumière, s'approcher de la fenêtre pour jeter un coup d'oeil sur la cour déserte, ou carrément plonger dans le vide en criant un nom (le sien, de préférence, car c'était celui qu'il connaissait le mieux!), pour en finir avec tous ces visages grimaçants qui hantaient la nuit et n'existaient déjà plus que sous forme de masques dans sa mémoire. Encore aurait-il fallu qu'il ait un corps doté de nerfs, de muscles, d'yeux et de bras. Encore aurait-il fallu qu'il puisse formuler un embryon de pensée. Encore aurait-il fallu que le monde existât en-dehors des souvenirs qu'il en avait. Encore aurait-il fallu qu'il ne soit pas lui-même ce sentiment d'avoir oublié quelque chose...

François Teyssandier

Tournure

Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d'avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l'averse.
Les heures passèrent, il se retourna dans son lit.
Et fut bercé à la pointe du jour par la caresse du soleil à travers la fenêtre ouverte et la certitude de se souvenir de ce quelque chose laissé là-haut sur la terrasse asséchée par la chaleur.

Luc-Michel Fouassier

Carnet

Le carnet a une odeur de moisi. Isabelle se souvient de cette odeur dans son petit studio quand elle a quitté ses parents pour vivre seule pour la première fois ; elle a mis du temps à accepter qu’elle émanait de ses vêtements. Ici, c’est comme un fantôme. Elle regarde autour d’elle et soudain le décor qu’elle a choisi pour l’appartement lui semble vide, aseptisé. Sa mère n’aurait pas compris pourquoi elle n’a rien voulu des anciens meubles. Tout ce qu’elle a ramené, à part les documents administratifs, c’est ce carnet, trouvé en bas d’une armoire. Notes concises, mots quotidiens, dates irrégulières. Souvent juste le temps qu’il a fait. Parfois : Visite d’Isabelle. Puis à la date où est mort son père : Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d’avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l’averse. Elle voit bien la cour, la pluie, mais elle sait qu’il était déjà à l’hôpital. Pour la énième fois, elle relit la phrase, scrute l’écriture fragile, scolaire, de sa mère. Puis elle éteint la lampe et sort sur le balcon. En bas, les toits des voitures reflètent la lumière des lampadaires. Dans l’immeuble en face, une seule fenêtre reste vraiment éclairée, mais elle n’y voit personne. Trois autres fenêtres montrent la lueur bleutée d’un écran. Par les scintillements, elle sait que dans deux des appartements on regarde la même émission.

Derek Munn

L’Ecran noir

Il fut réveillé au milieu de la nuit par le martèlement de la pluie sur les carreaux et le sentiment d’avoir oublié quelque chose en bas dans la cour, sur le pavé mouillé par l’averse. Il ne comprit pas tout d’abord d’où venait le bruit qui habitait son crâne. Un marteau-piqueur, la roulette d’un dentiste, une perceuse à percussion, un bombardement. La veille, il avait abusé. La pluie, seulement… la verrière… amplifie le bruit... la sensation de chaleur moite l’avait mis sur la voie. Comment avait-il pu reprendre connaissance si tôt avec ce qu’il tenait ? Il aurait dû dormir profondément. Impossible cependant de soulever une paupière, même pour regarder l’heure. A quoi bon ? Il se sentait plongé dans un noir complet. Ce bruit dans sa tête, et cette inquiétude sourde qui ne le quittait pas. La cour… la voiture ?... chaleur atroce… ouvrir la fenêtre… mais l’eau ?... va rentrer… Incapable du moindre mouvement. Les membres lourds. La pensée entravée. Il avait bien eu envie de tuer son assistant, hier. Mais rien dans le coffre, sûr, pas de bout de cravate qui dépasse… Aucun souvenir d’une enveloppe de billets sur le siège arrière… L’anneau nuptial ?… Pourquoi cette cour ?... Le voisin d’en face ?... Il n’avait pas la force de se retourner pour se libérer de ces pensées… Alma dormait à poings fermés. La pluie… ou alors le bruit des talons aiguilles d’une garce blonde ?... coups de becs de volatiles ?… Pas oublié la momie de sa mère sur le pavé en la remontant de la cave… Il se souvenait d’un enterrement… Paix à son âme… Tranquille et accablé, Sir Alfred Hitchcock se rendormit.

Sophie Spandonis